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Partie 3 - Émancipation des États-­Nations et développement économique

L’influence ottomane dans les structures socio-­économiques des pays arabes et leur mode de développement

Georges Corm
p. 217-232

Texte intégral

1Quatre siècles de domination ottomane (1516‑1918) sur ce que l’on avait coutume d’appeler les provinces arabes de l’Empire ottoman n’ont pas manqué de marquer profondément les structures socio-­économiques des sociétés arabes. On pourrait d’ailleurs évoquer une civilisation arabo-­ottomane tant a été grande l’influence de cet empire, notamment dans les sociétés arabes du Levant (Irak, Syrie, Liban, Palestine, Égypte), mais aussi bien en Afrique du Nord (Libye, Tunisie et Algérie). Seules les sociétés de la péninsule arabique, le Soudan et le Maroc ont échappé à la forte influence ottomane. Dans le reste du monde arabe, on peut constater une certaine prégnance de modes de comportement socio-­économiques hérités de la longue période ottomane, en dépit du fait que l’Empire a disparu depuis bientôt cent ans et en dépit des nombreuses transformations et bouleversements connus par les différents pays arabes concernés.

  • 1  Voir Ashton E., A Social and Economic History of the Near East in the Middle Ages, Collins, Londre (...)

2Il convient ici de noter que la domination ottomane avait été précédée au Levant par différents empires dont l’héritage a contribué à façonner les institutions ottomanes. Il s’agit essentiellement de l’Empire byzantin, de l’Empire abbasside et de l’Empire seldjoukide qui cède ensuite le pouvoir aux Mameluks. Le phénomène mameluk des esclaves guerriers qui se taillent un pouvoir de nature féodale a débuté avec la désintégration progressive du pouvoir abbasside1. Il perdurera en Égypte jusqu’à la prise de pouvoir de Mohammed Ali Pacha au début du xixe siècle, cependant qu’ailleurs au Levant arabe, l’Empire ottoman conserve le plus souvent les structures de ce pouvoir, mais installe ses propres gouverneurs qui héritent en fait du système mameluk.

3On peut caractériser le système ottoman de pouvoir par deux traits majeurs : d’un côté une forte décentralisation, ce qui fait des gouverneurs des potentats locaux ayant pleins pouvoirs ; de l’autre un système d’économie tributaire où le gouverneur est chargé de lever l’impôt et sous-­délégue cette fonction aux notabilités locales. Ce système fiscal a entraîné de nombreux abus de la part des gouverneurs et des notables locaux agissant en leur nom. Il a contribué à maintenir le monde rural dans une grande pauvreté. Par ailleurs, le système de propriété de la terre est demeuré, en règle générale et jusqu’au milieu du xixe siècle, un système de propriété précaire, les changements de gouverneurs pouvant entraîner des bouleversements dans les rapports de force et de puissance économique entre les notables locaux bénéficiaires du sous-­affermage fiscal dans les campagnes. Ces notables ont toujours été concurrents les uns des autres, souvent avec emploi de la violence, pour se gagner les faveurs du pouvoir ottoman, représenté par le gouverneur.

  • 2  On se reportera au célèbre ouvrage de Landes David, Bankers and Pashas, International Finance and (...)

4De plus, la littérature sur l’histoire économique du Levant a bien mis en évidence les différentes contraintes pesant sur la modernisation des économies de la région et leur industrialisation, notamment le régime privilégié des importations européennes, les taxes imposées sur les exportations de l’Empire ottoman, ainsi que les droits perçus sur la circulation des marchandises produites localement d’une province à l’autre de l’Empire. La modernisation économique de l’Empire et de ses provinces, notamment la Tunisie, mais surtout l’Égypte semi-­indépendante sous le règne des successeurs de Mohammed Ali, va surtout se faire à la fois par les investissements européens et par un endettement excessif des souverains. Corruption et agiotages sont restés célèbres dans les annales de cette période de première modernisation du Levant au xixe siècle2. De façon plus générale, la corruption due au système quasi patrimonial de gestion de l’Empire et à celui de la décentralisation de la perception du tribut dû au sultan, est très souvent considérée comme ayant perduré dans les États arabes issus du démembrement et comme étant largement responsable de l’incapacité à bâtir une économie moderne et un État de droit.

  • 3  Voir notamment Issawi Charles (éd.), The Economic History of the Middle East 1800‑1914, The Univer (...)

5Toutes ces caractéristiques négatives de la dernière période de domination ottomane sur le monde arabe sont bien connues des spécialistes3. D’ailleurs, la littérature nationaliste arabe de la fin du xixe siècle, mais surtout de la première moitié du xxe siècle, a eu tendance à attribuer le sous-­développement des sociétés arabes à cette longue domination ottomane. Le procès était plutôt facile, mais quelque peu superficiel. Facile, car l’Empire a été de moins en moins libre de ses mouvements du fait de l’influence grandissante des puissances européennes et de leurs interventions permanentes dans ses affaires. Superficiel, car ces mêmes caractéristiques négatives de l’héritage ottoman auraient dû davantage peser sur la Turquie moderne issue directement de l’Empire ottoman. Pourtant, cette dernière a réussi à devenir un État respecté dans le système géopolitique régional et à connaître un développement socio-­économique autrement plus important et solide que celui des États arabes modernes issus de la décomposition de l’Empire. Le contraste est très grand aujourd’hui entre la puissance turque, appuyée sur des performances économiques importantes, notamment depuis le début de ce siècle, et la faiblesse congénitale des pays arabes et leur involution dans des guerres intestines ruineuses et leur soumission aux intérêts des grandes puissances.

  • 4  Voir Corm Georges, Les politiques publiques macro-­économiques et la crise de l’emploi dans les pa (...)

6Le temps est donc peut être venu de jeter un regard plus circonstancié sur l’impact de l’héritage ottoman dans les échecs du développement et de l’industrialisation dans le monde arabe – échec qui est apparu au grand jour avec la vague de révoltes arabes qui a éclaté en 2011. Cette série impressionnante de mouvements populaires qui a secoué le monde arabe d’Oman à la Mauritanie trouve surtout son origine dans de graves mécontentements socio-­économiques. Les sociétés arabes, en effet, sont caractérisées par des taux de chômage les plus élevés du monde, notamment celui des jeunes et particulièrement celui des jeunes diplômés ; une participation très faible de la femme au marché du travail ; un nombre considérables de personnes économiquement faibles ne bénéficiant d’aucune protection sociale (travailleurs dans le secteur informel, petites entreprises familiales, ouvriers nationaux ou étrangers non déclarés par les patrons, personnes vieilles à la charge de leur famille) ; une absence d’innovation technologique et d’appropriation des sciences et techniques modernes qui provoque des déficits importants de commerce extérieur hors exportations d’hydrocarbures4.

7Aussi est-­il intéressant de tenter de comprendre si le mal développement du monde arabe peut être principalement attribué à son héritage ottoman dont il n’aurait pas réussi à se débarrasser ou bien s’il est dû à d’autres facteurs plus pertinents ? Telle est la question que l’on peut se poser ici et qui appelle aussi une comparaison entre l’échec arabe patent révélé par la série de révoltes de 2011 et le succès économique turc contemporain, certes encore relatif et fragile, mais comparaison qui ne peut manquer d’être éclairante. La problématique dans cette comparaison ne saurait être exclusivement économique, mais doit prendre en compte l’aspect de l’évolution des institutions politiques, éducatives et sociales.

La Turquie moderne sauvegarde l’unité de son territoire anatolien, tandis que la société arabe est balkanisée en États différents

8S’il fallait caractériser les économies arabes aujourd’hui par un trait majeur ce serait bien celui de l’économie de rente fortement teintée de patrimonialité, notamment dans les régimes politiques des pays arabes exportateurs de pétrole dans la péninsule arabique et ailleurs, par les phénomènes d’accaparement du pouvoir par un dictateur et sa clique d’hommes d’affaires.

9Ce régime est-­il vraiment le même que celui de l’Empire ottoman, lui-­même caractérisé par la toute puissance du Sultan et des différents corps de fonctionnaires à qui le Sultan dispensait ses bienfaits, notamment l’attribution de terres ou de hauts postes dans la bureaucratie impériale permettant un enrichissement facile ? On peut en douter tant les changements et les évolutions socio-­économiques ont été rapides et radicales dans toutes les sociétés arabes.

10Soulignons ici d’emblée le tremblement de terre qu’a constitué l’effondrement de l’Empire ottoman pour les sociétés arabes qui tombent alors toutes sous la domination coloniale européenne et perdent ainsi leur unité et leur homogénéité de civilisation et de mœurs que je qualifierai volontiers ici à nouveau d’« arabo-­ottomane ». Ce n’est évidemment pas le cas de la Turquie dont le territoire est alors restreint à l’Anatolie et au Sandjak d’Alexandrette qui lui est accordée par la France en 1939 au détriment de la Syrie. Mustapha Kemal a en effet réussi à chasser toutes les armées alliées qui tentaient de dépecer le territoire anatolien lui-­même et à réduire en cendres les projets européens de création d’un État arménien et d’un État kurde ainsi que d’une enclave grecque et une italienne. Si celui-­ci parvient à accélérer le rythme de l’européanisation-­modernisation de la nouvelle société turque, c’est grâce à ses victoires militaires qui boutent hors des nouvelles frontières toute influence politique européenne directe, ce qui lui donne une légitimité nationale forte.

  • 5  Le wahhabisme est la forme puritaine extrême de l’islam sunnite propagé par Mohammed Ibn Abdel Wah (...)

11Dans le monde arabe, c’est une évolution exactement inverse. Les sociétés sont fragmentées en États différents, les uns sous la coupe directe de la France, les autres sous celle de l’Angleterre. Dans la Péninsule arabique, l’émergence au cours des années 1920 d’un royaume patrimonial par la conquête militaire, celui des Saoud, qui adopte le Coran comme constitution et le wahhabisme le plus radical5 comme seule idéologie officielle théologico-­politique, constitue un espace de refus de toute modernité libérale lequel perdure jusqu’aujourd’hui. La constitution de ce royaume sera fortement encouragée par les Britanniques au détriment de la famille des Hachémites, gardienne des lieux saints de la Mecque et Médine. Ces derniers avaient fait aux Hachémites la fausse promesse de la constitution d’un royaume arabe unifié comprenant le Hedjaz (dans la péninsule arabique), l’Irak, la Palestine et l’ensemble libano-­syrien pour prix de leur ralliement à la cause des Alliés contre l’Empire ottoman.

12Au Levant, le Liban est détaché de la Syrie, et la Palestine est vouée à devenir un État juif conformément à la Déclaration de Balfour de 1917, intégrée dans le texte du mandat accordé par la Société des Nations à l’Angleterre. Bref, il y a « balkanisation » des territoires des provinces arabo-­ottomanes, qui contraste fortement avec le fait que la Turquie parvient à se reconstituer en préservant l’unité de son territoire anatolien. Par ailleurs, à cette balkanisation géographique des territoires arabes, s’ajoute une balkanisation des systèmes politiques : l’Irak et la Transjordanie deviendront des royautés, accordées en lot de consolation aux descendants de la famille des Hachémites (Faysal en Irak après l’échec de sa royauté éphémère en Syrie et Abdallah en Transjordanie), tandis que le Liban et la Syrie deviennent des républiques, ce qui ajoute un élément d’hétérogénéité politique fort dans cette balkanisation territoriale. Enfin, une partie des élites arabes sera formée à la modernité à la française, une autre à la britannique.

  • 6  C’est aussi un régime qu’a subi l’Iran et qui a amené à des révoltes populaires dans ce pays, nota (...)

13Sur le plan économique, le régime des mandats accordés à la France et l’Angleterre transforme la vieille économie de rente à base fiscale, qui avait caractérisé le système ottoman, en économie de rente à base de monopoles économiques modernes dans les domaines clés de l’eau, de l’électricité, des transports (ports, chemin de fer, postes et télégraphe), de la production de tabac et commercialisation de ses produits, monopoles attribués à des sociétés européennes. C’est aussi le régime dont les Anglais ont doté l’Égypte qui par ailleurs développe la culture du coton pour fournir les filatures européennes6.

14Le contraste est donc grand entre l’unité maintenue d’un vaste espace économique turc d’un côté, et la fragmentation de l’ancien espace arabo-­ottoman en petites entités peu homogènes sur le plan des régimes politiques, de l’autre. L’institution de la Ligue des États arabes en 1945 ne changera pas cet état de chose ; la coopération économique entre États arabes, en dépit de nombreux accords demeurant extrêmement faible.

Laïcisation des institutions turques, maintien du système des millets au Levant arabe

  • 7  Voir Corm Georges, Le Liban contemporain. Histoire et société, La Découverte, Paris, 2012.

15Un contraste accru : tandis que la Turquie moderne supprime le régime des millets et laïcise totalement les affaires de statut personnel en instituant le mariage civil obligatoire et supprimant la polygamie, les nouveaux États arabes maintiendront ce régime (à l’exception de la Tunisie), voire le renforceront comme c’est encore le cas au Liban qui demeure jusqu’aujourd’hui un microcosme de l’Empire ottoman déclinant encore soumis aux pressions des puissances extérieures7. Au cours des dernières années, notamment depuis l’invasion de l’Irak par les États-­Unis et la violente crise qui secoue la Syrie depuis 2011, le communautarisme religieux a fait des ravages. À l’Irak baathiste, fortement laïque, succède, un pays ravagé par l’hostilité ouverte entre sunnites et chiites. En Syrie, éclate aussi la question communautaire de la prépondérance de membres de la communauté alaouite dans les rouages civils et militaires de l’État. Il est d’ailleurs important de rappeler ici qu’en Syrie, la France mandataire avait tenté durant quelques années de créer des États communautaires (notamment un État alaouite et un État druze, en sus de deux États à majorité sunnite), mais devra renoncer à cette expérience sous le coup des successions de révoltes nationalistes.

Les échecs de l’industrialisation dans les sociétés arabes

  • 8  Acte fort et symbolique de cette épopée : la nationalisation du Canal de Suez en 1956 pour finance (...)
  • 9  Voir Blanc Pierre, Proche-­Orient. Le pouvoir, la terre, l’eau, Presses de Sciences Po, 2012, qui (...)

16Aux indépendances acquises à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, à des dates différentes et parfois après des violences meurtrières (guerre d’Algérie, en particulier), s’il est mis fin au régime des concessions de services publics accordées aux sociétés européennes, la propriété de celles-­ci revient aux États qui joueront désormais un rôle de plus en plus actif dans le développement économique. Au cours de l’époque nassérienne8, différentes formes de socialisme se développeront en Égypte, en Syrie, en Irak, en Algérie et en Tunisie. Les réformes agraires menées ont visé à réduire les grandes propriétés et à organiser des coopératives de commercialisation des produits agricoles. Dans le même temps, les États généralisent l’éducation et accordent des protections sociales aux couches ouvrières9. D’un autre côté cependant, cette période socialisante freine le développement d’un capitalisme local concurrentiel et désireux d’innover. Seuls quelques hommes d’affaires bien introduits auprès du pouvoir parviennent à s’assurer des rentes de situation auprès de l’État ou des grandes sociétés du secteur public, sans avoir à déployer d’efforts productifs ou faire face à de la concurrence.

17En fait, trois expériences d’industrialisation accélérée ont lieu durant cette période et vont avorter pour différentes raisons. Tout d’abord, l’expérience nassérienne en Égypte qui paraît bien réussir dans un premier temps. Elle est symbolisée par la construction du barrage d’Assouan et celle d’une industrie sidérurgique avec l’aide financière et technique de l’Union soviétique : la croissance du PIB égyptien est forte ; les exportations de produits industriels, notamment vers l’Afrique subsaharienne augmentent considérablement ; enfin le prolétariat industriel s’élargit considérablement. L’Égypte commence ainsi à perdre son caractère de société principalement rurale. L’expérience cependant s’essouffle rapidement suite à la spectaculaire défaite de l’armée égyptienne face à Israël en 1967, puis la guerre d’usure entre les deux armées entre 1967 et 1969, enfin le décès de Nasser en 1970. Son successeur Anouar el Sadate adopte progressivement une politique libérale, se débarrasse de l’influence économique soviétique, évolution qui sera concrétisée après la guerre d’octobre 1973 par l’adoption officielle d’une politique d’ouverture économique (infitah) qui favorise le retour d’un capitalisme commercial rentier au détriment des entreprises industrielles d’État, ouvert sur le capital étranger, notamment celui des pays arabes exportateurs de pétrole.

18En Algérie, le président Houari Boumédiène met en œuvre une vaste politique d’industrialisation destinée à faire de son pays la Prusse de l’Afrique. Mal conçue et mal planifiée, pratiquant la formule d’achats d’usines clés en mains fournies par des grandes sociétés multinationale – mais aussi par l’URSS pour la sidérurgie –, cette politique donnera lieu à des gaspillages multiples et à une formation insuffisante de techniciens qualifiés, ne pouvant acquérir et maîtriser les technologies complexes de la modernité industrielle dans les temps requis pour pouvoir faire fonctionner les usines avec l’efficacité requise pour en assurer la rentabilité. L’échec de cette expérience se manifeste trente ans après par la dépendance toujours totale de l’économie algérienne sur l’exportation d’hydrocarbures qui continue de représenter aujourd’hui 98 % des recettes d’exportations et plus de 60 % des recettes fiscales.

19Enfin en Irak, si le régime cruel de Saddam Hussein parvient à des résultats positifs dans l’acquisition des sciences et des techniques – base de toute modernité industrielle –, l’expérience tourne court avec le déclenchement de la guerre contre l’Iran (1980‑1988), suivie de près par l’invasion de Koweït et la mise sous embargo économique implacable de l’Irak. Suite à l’invasion américaine de ce pays en 2003, le secteur public irakien est démantelé et la libéralisation complète de l’économie est instituée, ouvrant ainsi la voie au développement d’un capitalisme prédateur, pendant que la population du pays est paupérisée et que ses élites scientifiques et techniques émigrent ou sont décimées par d’innombrables assassinats ciblés.

20On rappellera ici qu’au xixe siècle, Mohammed Ali, pacha d’Égypte, sitôt le pouvoir mameluk supprimé, avait été le premier dirigeant de la région arabe à entreprendre une vaste politique de modernisation agricole et industrielle avec l’aide de techniciens français. De nombreuses fabriques d’État sont créées, de même que des institutions éducatives réservées à l’élite du pays ; dans le monde rural de nombreux travaux hydrauliques sont entrepris ; la culture du coton est initiée et la propriété rurale consolidée. Son expérience tournera court du fait de son échec à réaliser ses ambitions politiques et militaires de conquérir durablement les provinces arabes à l’Est de l’Empire ottoman. Il fit une vaine tentative militaire d’arriver jusqu’à Istanbul pour détrôner et remplacer le sultan ottoman. La coalition des puissances européennes se mit en travers de sa route et lui fit subir une défaite cuisante en 1839. Afin de conserver son trône sur l’Égypte, Mohammed Ali fut forcé d’abandonner ses efforts d’industrialisation et d’ouvrir l’Égypte au commerce et aux investissements européens.

  • 10  Voir le célèbre ouvrage de Lewis Bernard, The Emergence of Modern Turkey, Oxford University Press, (...)

21C’est suite à cette expérience que l’Empire ottoman entreprend de nombreuses réformes modernisatrices sous la pression des puissances européennes. Il s’agit des tanzimat proclamés en 1839 et 1856 qui décrètent l’égalité entre sujets musulmans et non musulmans du sultan, qui créent des conseils municipaux, en même temps que sont adoptées des lois positives inspirées du droit français (notamment un code de la nationalité, un code de commerce) et qu’un système judiciaire moderne est mis en place, de même qu’est finalement adoptée une constitution moderne (1876)10. Il apparaît clairement qu’une partie des bases de la Turquie moderne a été façonnée sous l’Empire ottoman durant le xixe siècle.

22On voit bien, en définitive, que ces quatre tentatives d’industrialisation dans les pays arabes n’ont pas simplement avorté du fait du poids de l’héritage ottoman, mais sous le coup de circonstances géopolitiques régionales, d’aventures militaires prématurées avant la consolidation de l’expérience industrielle qui aurait permis un développement autocentré des capacités militaires, ou encore comme dans le cas de l’Algérie d’une politique trop ambitieuse et peu adaptée aux conditions socio-­économiques d’un pays sorti exsangue de cent quarante ans d’une colonisation de peuplement, ayant réduit les Algériens à l’exclusion et la pauvreté et à une élite très restreinte en nombre.

Un processus de développement turc appuyé par un État rénové et fort

  • 11  Voir Copeaux Étienne, Espace et Temps de la nation turque. Analyse d’une historiographie nationali (...)

23Le processus de développement turc en revanche a connu une belle continuité et s’est fait sur les bases d’un État reconstitué et modernisé en profondeur11. La Turquie moderne, à la différence des provinces arabes issues de l’Empire ottoman, sut aussi éviter d’être prise dans les filets de la géopolitique mouvementée de la région. Elle ne s’investit point dans la Seconde Guerre mondiale et son territoire ne servit pas de terrain de déploiement des armées européennes en conflit. Sur le plan de la géopolitique régionale, elle s’allia après cette guerre aux États-­Unis et aux puissances d’Europe occidentale, devenant un membre actif et respecté de l’OTAN. Cette stabilité remarquable, certes longtemps entrecoupée d’interventions de l’armée dans la vie politique du pays, contraste singulièrement avec les coups d’État, les dictatures prolongées, les conflits interarabes, les guerres israélo-­arabes, la guerre dévastatrice entre l’Irak et l’Iran.

24Le développement économique de la Turquie put d’ailleurs tirer avantage de cette longue guerre entre ses deux voisins obligés de s’approvisionner en produits de première nécessité auprès d’elle. Ceci donna un premier coup de fouet à son industrie de transformation et de produits de première nécessité. Par la suite, l’effondrement du bloc soviétique ouvrit un autre champ d’activités économiques pour les entreprises turques, en particulier celles de la construction et du BTP, notamment dans les nouvelles républiques musulmanes d’Asie centrale devenues indépendantes et dont une large partie du peuplement est lui-­même d’origine turque. De même, les entreprises turques avaient réussi à obtenir de nombreux contrats juteux dans les pays arabes exportateurs de pétrole dans la péninsule arabique et en Libye.

25Ceci explique l’importance du secteur industriel dans la formation du PIB de la Turquie. En effet, celui-­ci atteint entre 22 et 23 % suivant les années. Il est principalement composé d’industries de transformation. À l’inverse, le secteur des industries de transformation dans le monde arabe se situe en règle générale entre 10 % et 15 % du PIB, pendant que les industries extractives et dérivées, notamment les hydrocarbures et le phosphate peuvent atteindre plus de 40 %.

26Quelques indicateurs économiques comparés nous montrent de façon criante la différence entre les performances de la Turquie moderne et celle des principaux pays arabes depuis le début des années soixante-dix du siècle dernier. Le premier indicateur est celui de l’évolution comparée du PIB de ces pays arabes avec celui de la Turquie. Sur le tableau ci-­dessous, nous pouvons constater combien l’écart moyen entre le PIB par habitant de la Turquie et celui des pays arabes choisis dans le tableau a augmenté au cours de la période entre 1963 et 2012. Alors que cet écart n’était en moyenne que de cent cinquante-­neuf dollars en faveur de la Turquie en 1963, il s’est creusé jusqu’à plus de sept mille deux cents dollars en 2012. Pourtant les économies arabes choisies dans cette comparaison sont riches soit en ressources agricoles, soit en matières premières phosphatiques ou énergétiques, soit dans les deux types de ressources.

PIB comparé par tête d’habitant entre la Turquie et certains pays arabe

1963

Écart avec Turquie*

1970

1980

1990

2000

2012

Écart avec Turquie*

Égypte

137

– 213

211,39

510

766

1 510

3 256

– 7 410

Maroc

198

– 152

247,37

943

1 037

1 276

2 902

– 7 764

Syrie

237

– 112

335,55

1 458

989

1 180

3 289

– 7 377

Algérie

223

– 127

331,06

2 174

2 365

1 727

5 348

– 5 318

Tunisie

231

– 118

280,72

1 370

1 507

2 245

4 237

– 6 429

Soudan

119

– 231

151,31

398

481

356

1 580

– 9 086

Turquie

350

– 159

491,40

1 567

2 791

4 220

10 666

– 7 231

* La dernière ligne de la colonne représente la moyenne de l’écart entre les six pays arabes et la Turquie.

Source : Banque Mondiale, base de données World Development Indicators.

27La comparaison des performances économiques est encore plus criante lorsque l’on choisit l’indicateur du montant per capita des exportations de biens et de services, comme le montre le tableau ci-­dessous. Tandis que la Turquie avait en 1963 le chiffre d’exportation de biens et services le plus bas par rapport aux pays arabes choisis dans le tableau et que la moyenne de l’écart entre les six pays arabes et la Turquie était de vingt-­quatre dollars en faveur des pays arabes, en 2012 la moyenne de l’écart atteint mille six cent soixante ­et ­un dollars en faveur de la Turquie cette fois.

Exportations de biens et de service comparées par tête d’habitant entre la Turquie et certains pays arabe

En US $

1963

Écart avec Turquie*

1970

1980

1990

2000

2012

Écart avec Turquie*

Égypte

25,53

11,03

29,98

155,61

153,48

244,57

567,49

(2 253)

Maroc

35,57

21,07

43,84

165,29

276,80

360,82

1 067,85

(1 752)

Syrie

46,11

31,60

60,01

271,69

280,14

417,77

1 198,49**

(1 622)

Algérie

54,98

40,47

73,07

746,63

554,34

711,24

1 989,49

(831)

Tunisie

41,16

26,65

61,75

551,06

656,51

887,95

2 031,89

(788)

Soudan

27,45

12,95

33,54

55,90

24,94

70,66

98,82

(2 721)

Turquie

14,51

23,96

21,83

80,88

372,96

848,04

2 820,18

(1 661)

* La dernière ligne de la colonne représente la moyenne de l’écart entre les six pays arabes et la Turquie.
** Pour la Syrie le chiffre dans la colonne est celui de 2011.

Source : Banque Mondiale, base de données World Development Indicators.

  • 12Copeaux Étienne, op. cit.

28Il est donc à la fois clair et paradoxal que la Turquie moderne, en dépit de son héritage ottoman, a réalisé des performances économiques bien plus importantes que celles des pays arabes. Ce succès est largement dû à deux facteurs principaux. Tout d’abord la rupture effectuée avec les institutions politiques et socio-­économiques, publiques et privées, de l’Empire. Cette rupture a permis la construction d’un espace « national » turc cohérent12. Cette construction ne s’est certes pas faite sans violences (notamment le génocide arménien), mais elle a pu être réalisée en dépit des obstacles, notamment les survivances de sensibles différences communautaires (alaouites et sunnites), et ethniques (très importante minorité kurde travaillée par le désir légitime d’indépendance ou du moins de forte autonomie culturelle), ou encore régionales (pauvreté de la Turquie de l’Est encore fortement rurale, prospérité de la Turquie de l’Ouest plus urbanisée et plus industrialisée).

  • 13  Le Kémalisme n’a pas très bonne presse aujourd’hui pour différentes raisons, dont celle des massac (...)

29En créant les bases d’un État national dont l’espace est maîtrisé par un groupe dirigeant solide, possédant des objectifs clairs de modernisation-­européanisation et auréolé de ses victoires sur l’impérialisme européen dont les armées sont chassées d’Anatolie, le Kémalisme – pourtant si critiqué aujourd’hui – a réussi à assurer au nouvel État turc une base solide débarrassée des vestiges et institutions du passé. Ce sont les bases laïques de ce nouvel État qui permet à la Turquie du xxie siècle de faire l’expérience d’un parti au pouvoir qui se réclame d’une idéologie et d’une morale islamique, sans que l’État lui-­même soit ébranlé ou qu’une guerre civile soit mise en route13. Il y a là confirmation éclatante du contraste que nous avons noté entre l’évolution chaotique des régimes politiques arabes, rythmée par de nombreux coups d’État, une violence endémique, et l’incapacité de parvenir à une modernité qui ne soit pas seulement de façade.

Un succès économique turc relatif et encore fragile

30À l’inverse, le succès comparatif de l’économie turque par rapport aux économies arabes s’explique par la fragmentation des sociétés arabes en États rivaux et par les grandes guerres subies, ainsi que les guerres civiles, comme nous l’avons déjà évoqué. L’évolution des économies arabes a été caractérisée par des injustices sociales criantes, alimentées par la très forte concentration de richesses en provenance des mécanismes de distribution des rentes d’origine diverses auprès d’un cercle restreint de privilégiés du pouvoir (rente des hydrocarbures, rente foncière, rente de la privatisation des télécommunications, aides financières régionales ou internationales, rentes de transport telles que le canal de Suez ou le passage d’oléoducs sur le territoire d’un État, rente des transferts des riches émigrés).

  • 14  Données tirées de World Development Indicators, Banque Mondiale, Washington D.C., sauf pour Taiwan (...)

31Toutefois, une analyse un peu plus poussée des performances comparées des économies arabes et turque révèle des similarités dans les faiblesses : une très grande volatilité dans les taux de croissance, la faible teneur des exportations en produits à haute technologie, des différences régionales internes fortes, avec concentration des activités économiques dans les grandes villes et la grande faiblesse des revenus ruraux. Si les performances de la Turquie sont comparées à celles de la Corée du Sud, de Taiwan ou de la Chine, elles apparaissent relatives. En effet, la Corée du Sud avec 50 millions d’habitants exporte trois fois plus que la Turquie qui compte 73 millions d’habitants ; ce pays dénué de ressources en hydrocarbures ou autres matières premières, exporte même 1,6 fois plus que l’Arabie saoudite (grand exportateur d’hydrocarbures) et 14 fois plus que l’Égypte avec 80,7 millions d’habitants. Son PIB par habitant est deux fois plus élevé que celui de la Turquie en 2012, alors qu’en 1963 celui de la Turquie était 2,5 fois supérieur à celui de la Corée du Sud. Si nous regardons du côté de Taiwan, cette île d’une population à l’origine rurale pauvre, a quant à elle un PIB de 500 milliards de dollars à la fin de l’année 2013 pour 23,3 millions d’habitants, soit 20 850 dollars par tête d’habitant, presque deux fois plus qu’en Turquie14.

32Par ailleurs, lorsque l’on regarde la composition du PIB de la Turquie, celui-­ci nous révèle que le secteur agricole turc où vit 25 % de la population ne produit que 8,9 % de la valeur ajoutée du pays. Ceci se traduit par une forte pauvreté rurale.

33On peut donc affirmer que la position de la Turquie, même si elle est bien meilleure que celle des pays arabes, reste loin des performances des tigres asiatiques, qualitativement et quantitativement. Si la modernisation de la Turquie de l’Ouest est impressionnante, la Turquie de l’Est est toujours en proie à la pauvreté rurale et à des infrastructures insuffisantes, ce qui ne manque pas d’ailleurs d’alimenter le conflit kurde. La sophistication de l’économie reste limitée en terme d’appropriation des technologies et de capacité d’innovation dans la production de biens et de services à haute valeur ajoutée et ceci en dépit d’un système éducatif moderne et développé.

  • 15  Source : World Development Indicators.
  • 16  Statistiques tirées du Bureau des brevets des États-­Unis, www.uspto.gov
  • 17  Données tirées de World Development Indicators.
  • 18Ibidem.

34C’est ainsi que la Turquie dépense en recherche et développement moins de 1 % de son PIB, contre 3,47 % pour la Corée du Sud et 4,74 % pour l’État d’Israël15. De même sur le plan du nombre de brevets produits par la Turquie depuis 1991 jusqu’à la fin de 2012 et enregistré aux États-­Unis, celui-­ci est très réduit (343), contre 750 à la Grèce, 103 896 à la Corée du Sud, 104 954 à Taiwan, 24 483 à Israël et 1 678 à la Malaisie16. Le nombre de compétences travaillant dans la recherche et le développement en Turquie ne dépasse pas 900 personnes par un million d’habitants contre plus de 5000 en Corée du Sud17. On ne s’étonnera pas dans ces conditions que les exportations turques aient un faible pourcentage d’exportations à haute valeur ajoutée (1,9 %) en raison du contenu réduit de haute technologie dans ses exportations, alors que la Corée du Sud atteint un pourcentage de 26 %, la Malaisie de 47 % et la Thaïlande de 26 %18.

35Par ailleurs, en Turquie, tout comme dans les pays arabes, le pays connaît un flux constant d’émigration vers l’Europe et les États-­Unis, ce qui montre que ce pays n’a pas su mobiliser tout son potentiel humain dans le développement. C’est là un trait négatif que la Turquie partage avec de nombreux pays arabes.

Conclusion : Ruptures et continuités dans l’héritage ottoman

36Peut-­on invoquer l’héritage ottoman pour expliquer les sous performances relatives de l’économie turque et de celles des pays arabes, encore bien plus accentuées que celles de la Turquie moderne ? En fait, sur un plan global, on peut dire que l’économie turque, tout comme les économies arabes ont rompu avec l’héritage ottoman et ont pratiqué diverses formes de politiques de développement, changeantes suivant les orientations internationales en la matière : d’abord les politiques basées sur la nécessaire impulsion du développement par l’État et le secteur public avec pratique du protectionnisme, lorsque dominaient les théories développementalistes, d’origine américaine ou européenne et latino-­américaines ; puis, à partir du début des années 1980, politiques basées sur la nécessité de libéraliser les économies et de faire reculer la place de l’État et du secteur public dans l’économie, sous l’impact de la mondialisation et du Consensus de Washington.

37Ainsi, les anciennes politiques publiques ottomanes ont-­elles bien disparu et ne peuvent être tenues, en conséquence, pour responsables des performances économiques de la Turquie moderne ou des États arabes issus du partage de l’Empire ottoman. Ce qui reste de l’héritage ottoman dans les pays arabes se trouve plus dans certaines institutions sociales, notamment le maintien du système des millets au Levant, ce qui a réduit considérablement les libertés individuelles et a contribué à aggraver le communautarisme partout où existent des groupes religieux divers. Il reste aussi par ailleurs de cet héritage – qui remonte plus loin au temps des mameluks – diverses formes de patrimonialité que pratiquent les dirigeants politiques alliés à des hommes d’affaires, ce qui engendre une forte corruption et une concentration importante des richesses aux mains de quelques privilégiés. La petite corruption dans ce contexte ne manque pas de gangrener les administrations publiques.

38Il n’est pas sûr que la Turquie soit elle-­même définitivement guérie de cet héritage. La grande corruption y a aussi sévi depuis le début des années quatre-­vingt du siècle dernier, lorsque de nouveaux dirigeants mettent en œuvre la libéralisation de l’économie turque. Mais à notre sens, il s’agit là d’une évolution qui a caractérisé de nombreuses économies, aussi bien dans les vieux pays industrialisés que dans les pays émergents et qui ne nous semble pas avoir de rapport direct avec l’héritage ottoman.

39On peut se poser ici la question de savoir si le long règne de l’AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi – Parti de la justice et du développement), sous la conduite de Recep Tayyip Erdoğan, ne risque pas aujourd’hui de remettre en cause les fondements traditionnels de la Turquie moderne. Il en est ainsi de l’évocation récente d’une nouvelle politique régionale, définie comme « néo-­ottomane », par l’inamovible ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu, pour expliquer ou légitimer une intervention directe multiforme dans le conflit syrien. De plus, les derniers scandales financiers qui ont affecté des membres du gouvernement en décembre 2013 et amené à un important remaniement ministériel, sont un autre élément de mécontentement qui vient s’ajouter aux manifestations populaires de l’été 2013 contre le gouvernement. Enfin, la « réislamisation » rampante de la société que réalise l’AKP depuis le début des années 2000, constitue un autre des signes inquiétants pour l’avenir de la Turquie.

40À notre sens, cependant, l’on ne saurait toutefois attribuer à l’héritage ottoman ces dernières évolutions en Turquie. C’est le jeu de l’ambition des hommes, de la lutte pour le pouvoir et des effets corrupteurs de la globalisation économique un peu partout dans le monde, qui peuvent être tenus pour responsables de la fragilité et de la volatilité des situations, décrites ici, qu’elles soient arabes ou turques.

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Notes

1  Voir Ashton E., A Social and Economic History of the Near East in the Middle Ages, Collins, Londres, 1976.

2  On se reportera au célèbre ouvrage de Landes David, Bankers and Pashas, International Finance and Economic Imperialism in Egypt, Cambridge, Harvard University Press, 1958.

3  Voir notamment Issawi Charles (éd.), The Economic History of the Middle East 1800‑1914, The University of Chicago Press, 1966 ; ainsi que Hershlag Z.Y., Introduction to the modern Economic History of the Middle East, Pays-­Bas, E.J. Brill, 1964 ; Issawi Charles, An Economic History of the Middle East and North Africa, Londres, Methuen & C°, 1982 ; et Owen Roger, The Middle East in World Economy 1800‑1914, Londres, Methuen & C°, 1981.

4  Voir Corm Georges, Les politiques publiques macro-­économiques et la crise de l’emploi dans les pays du sud de la Méditerranée, Étude réalisée pour le Bureau International du Travail – BIT, Genève ; un résumé de ce travail est paru dans la revue Arab Contemporary Affairs, sous le titre « Socio-­economic causes of Arab Revolutions », no 3, juillet-­septembre 2012. On pourra se reporter à notre étude en arabe Naqd el iktissad al ray’i, Markaz dirassat al wahda al ‘arabiyya (Centre des études sur l’unité arabe), Beyrouth, 2011, ainsi qu’à notre ouvrage Le Proche-­Orient éclaté 1956‑2012, volume 2, chapitre 21 (« La question économique et sociale dans le monde arabe »), Folio/histoire, Paris, 2012.

5  Le wahhabisme est la forme puritaine extrême de l’islam sunnite propagé par Mohammed Ibn Abdel Wahhab (1703‑1792) qui a vécu dans le Najd et s’est allié à Muhammed Ibn Saoud en 1747 pour propager par l’épée cette doctrine. Le sultan ottoman envoya une expédition militaire égyptienne en 1810 pour venir à bout du mouvement dont l’armée était arrivée jusqu’en Irak. Le wahhabisme a longtemps été considéré comme une hérésie en islam du fait de son extrémisme, jusqu’à la constitution du royaume saoudien dans les années 1920 sous la protection anglaise. Par la suite la fortune pétrolière du royaume permit l’extension de l’influence de la doctrine wahhabite sur toutes les communautés musulmanes sunnites de par le monde. De même, le système saoudien de gestion patrimoniale de l’État et de ses ressources ne manquera pas d’influencer par divers canaux les autres sociétés arabes, au fur et à mesure que le royaume élargit son influence dans le monde arabe et musulman.

6  C’est aussi un régime qu’a subi l’Iran et qui a amené à des révoltes populaires dans ce pays, notamment celle des planteurs de tabac en 1906. Sur cette période, on se reportera utilement à Ducruet Jean, Les capitaux européens au Proche-­Orient, PUF, 1964, ainsi qu’à Thobie Jacques et Salgur Kançal (éds.), Industrialisation et rapports sociaux en Turquie et en Méditerranée orientale, L’Harmattan, Paris, 1994 (actes d’un colloque tenu à Paris-­Unesco en mai 1991).

7  Voir Corm Georges, Le Liban contemporain. Histoire et société, La Découverte, Paris, 2012.

8  Acte fort et symbolique de cette épopée : la nationalisation du Canal de Suez en 1956 pour financer la construction du haut barrage d’Assouan, considéré comme vitale pour le développement de l’Égypte, et ce après le refus du gouvernement américain et de la Banque mondiale d’assurer ce financement. Voir Corm Georges, Le Proche-­Orient éclaté…, op. cit., volume 1, chapitre 6 sur la nationalisation du canal de Suez.

9  Voir Blanc Pierre, Proche-­Orient. Le pouvoir, la terre, l’eau, Presses de Sciences Po, 2012, qui rappelle utilement les réformes réalisées, puis les contre réformes à l’ère du néo-­libéralisme.

10  Voir le célèbre ouvrage de Lewis Bernard, The Emergence of Modern Turkey, Oxford University Press, 1961, édité en français sous le titre Islam et laïcité. La naissance de la Turquie moderne, Fayard, Paris, 1988.

11  Voir Copeaux Étienne, Espace et Temps de la nation turque. Analyse d’une historiographie nationaliste 1931‑1993, Éditions du CNRS, Paris, 1997.

12Copeaux Étienne, op. cit.

13  Le Kémalisme n’a pas très bonne presse aujourd’hui pour différentes raisons, dont celle des massacres de Grecs et d’Arméniens et l’autoritarisme du régime laïc qui, aux dires de certains, aurait violé la « personnalité musulmane » des Turcs. On ne peut cependant s’empêcher de considérer que sans la rupture faite avec le passé, la Turquie n’aurait pas pu construire un espace étatique national et cohérent. La réislamisation actuelle de la Turquie par la domination de l’AKP depuis plus de dix ans risque désormais d’ébranler la stabilité turque (voir conclusion).

14  Données tirées de World Development Indicators, Banque Mondiale, Washington D.C., sauf pour Taiwan données disponibles sur http://eng.stat.gov.tw

15  Source : World Development Indicators.

16  Statistiques tirées du Bureau des brevets des États-­Unis, www.uspto.gov

17  Données tirées de World Development Indicators.

18Ibidem.

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Pour citer cet article

Référence papier

Georges Corm, « L’influence ottomane dans les structures socio-­économiques des pays arabes et leur mode de développement »Anatoli, 5 | 2014, 217-232.

Référence électronique

Georges Corm, « L’influence ottomane dans les structures socio-­économiques des pays arabes et leur mode de développement »Anatoli [En ligne], 5 | 2014, mis en ligne le 01 août 2016, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/anatoli/344 ; DOI : https://doi.org/10.4000/anatoli.344

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Auteur

Georges Corm

Georges Corm, ancien ministre des Finances du Liban, est professeur à l’Université Saint-­Joseph de Beyrouth où il enseigne les « politiques publiques dans le monde arabe », la « coopération économique internationale », la « dynamique des conflits au Moyen-­Orient », ainsi que la « pensée politique arabe contemporaine », en sciences politiques. Ses nombreux ouvrages sont consacrés aux problèmes du monde arabe, parmi lesquels figurent Le Proche-­Orient éclaté (1983), Orient-­Occident, la fracture imaginaire (2002), La question religieuse au xxie siècle, géopolitique et crise de la postmodernité (2006), Histoire du Moyen-­Orient (2007), L’Europe et le mythe de l’Occident, construction d’une histoire (2009), Pour une lecture profane des conflits (2012).

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